002 — Contexte

France, Abondance, 2243

« Ne répétez pas leurs erreurs »

Leurs erreurs ; celles des Hommes de l’ère ancienne, évidemment. Le vieux professeur bassine ses élèves avec la « guerre » depuis des semaines. À force, on connaît le récit par cœur.

« En 2025, le chant des bombes a résonné dans l'hémisphère Nord. Les États-Unis jaugent la Russie. La Russie observe les États-Unis. Un communiqué officiel a sonné le glas de la paix entre les deux pays ; ils sont désormais lancés dans un conflit armé. Les soldats se préparent, les fusils sont lustrés. Les Hommes se doutent cependant que leur époque réserve quelques mauvaises surprises. Personne n’a oublié Hiroshima, ni Nagasaki.

Les offensives menées par les deux États mènent la vie dure à leurs voisins, spécialement les pays frontaliers. À la fin de l’année, on dénombre déjà des dizaines de « dommages collatéraux » : ces civils restés sur le chemin et écrasés par les combats. Ils se servent des outils à leur disposition pour semer le doute, rompre des alliances, pousser l’ami d’hier sur l’ennemi de demain. Peu à peu, les autres pays se rangent d’un côté ou de l’autre ; le but premier étant de faire cesser le feu avant que les dégâts ne soient trop importants. La machine « monde » perd en efficacité. Les Hommes sont recrutés massivement pour le champ de bataille, laissant ceux de céréales dans leur sillage. Les sirènes retentissent dans les villes bombardées, les regards scrutent le ciel avec anxiété.
La faim se réveille à des endroits où on ne l’avait plus vue depuis quelques décennies. Les orphelins se multiplient, les morts aussi. Le nom « Troisième Guerre Mondiale » prend son sens en 2027 ; il n’y a plus un seul État épargné.

Les Hommes pensent que le pire est passé. C’est sans compter sur une innovation des Russes : un virus. Persuadés que les vaccins développés en parallèle vont les protéger, ils l’inoculent à un certain nombre de « kamikazes » chargés de le répandre chez les ennemis. La maladie lapide les individus touchés. Les premiers meurent dans la souffrance, les autres sombrent peu à peu ; seules quelques personnes parviennent à guérir du virus mais pas sans douleur.
Les Russes découvrent à leurs dépends que leurs soins sont obsolètes. Le virus évolue, il change suffisamment pour rendre les vaccins inefficaces. À l’aube de 2029, il y a trop de cadavres et si peu de charniers. Les corps sont laissés à même les rues ou brûlés à la hâte ; les Hommes abandonnent les villes au profit des zones moins peuplées ; car qui dit « Homme » dit « maladie ». Les animaux ne sont pas concernés par les maux — au contraire, grâce aux cataclysmes, ils se sont débarrassés de leur principal prédateur et redécouvrent le plaisir d’aller ou venir à leur guise.

Deux décennies s’écoulent. Les survivants essayent d’apprendre des erreurs passées. Ils prennent le « renouveau » pour un élan, pour une seconde chance ; au point de s’allier péniblement dans l’idée de repenser leur société. Ils poussent en avant les recherches sur les énergies propres, la médecine — spécialement dans le domaine de la fertilité —, la réorganisation du milieu en veillant à respecter l’écosystème… Des dizaines de milieux négligés par leurs prédécesseurs.
Il n’y a qu’une seule ombre à l’ensemble : les problèmes de stérilité. Ils sont nombreux, pour ne pas dire monnaie courante. Les couples n’arrivent plus à enfanter. Les médecins rassemblent les individus fertiles pour mener une étude ; ils réalisent que les différences se résument à la production d’une hormone chez certaines personnes. Ils tentent d’en faire la synthèse, de l’inoculer à des couples stériles — les expériences restent sans résultat.
Les questions demeurent sur toutes les lèvres, néanmoins : pourquoi ? comment ?
Les scientifiques pensent à une cause environnementale avant de se souvenir que certaines caractéristiques génétiques de l’Homme ont été héritées de virus. Et si celui de 2028 les avait changé ?

Un siècle après la Troisième Guerre Mondiale, les expériences payent finalement. Les Hommes savent désormais que seules les « âmes sœurs » sont capables de procréer ; la spécificité ? Le sexe des partenaires n’est plus un problème ! Ils produisent tous les cellules nécessaires à la fécondation et les hommes arrivent à porter les bébés.
Les médecins ont également réussi à lier un phénomène physique particulier — la perte (temporaire) de la vue en couleur — à la proximité des âmes sœurs non rencontrées. Les humains parviennent donc à trouver leur moitié avec plus de facilité.

Nous sommes désormais à l’ère nouvelle. Les Hommes se sont installés dans la routine des innovations propres, des logements « spéciaux » qui plient aux volontés de Mère Nature, au climat changé et surtout à la douceur de vivre qui règne.
Ils n’ont plus qu’un mot à la bouche : utopie. »